Léviathan

Publié le par Jayos

Léviathan,

 

Tes noms sont multitude, je ne pense pas les connaître tous. Le mien, il ne t’intéresse pas, comme celui de tous ceux que tu dévores. Tu es notre gangrène, notre misère. Celui qui nous mine et qui nous pourri. Tu es sorti des méandres de l’esprit humain pour nous engloutir. Tu étais notre outil, tu es devenu notre maître et tu seras notre ruine. Toi, le Chiffre.

 

Ceux qui m’ont précédé ont pactisé avec toi. Sans savoir qu’un démon ne donne jamais sans reprendre au centuple. Tu nous as aidé à nous organiser. Toi et tes statistiques. Tu nous as montré nos lacunes, nos difficultés, nos déficiences. Tu as su te rendre indispensable pour mieux nous dévorer.

 

Désormais tu es incontrôlable. On ne travaille plus que par toi. Que pour toi. Tu as fait de nous des effectifs. Des âmes désespérées qui nous appellent à l’aide, tu as fait des victimes. Des bandits, tu as fait des auteurs. Des mauvaises actions, des faits constatés. Des fruits de notre labeur, des faits élucidés. Nos rondes sont devenues un taux d’occupation de la Voie Publique. Nos amendes, une activité contraventionnelle. Nos interpellations, des bâtons. Avec toi, tout est quantifiable, tout est mesurable, tout est comparable.

 

Désormais tu es partout, tu régentes tout. Ceux qui ne savent pas ne jurent que par toi. Ceux qui savent gardent le silence car ils n’ont pas voix au chapitre de la honte. Du nanti qui n’a pas apprécié une parole outrageante au mouflet qui a la fesse qui coule, pour toi, de différence il n’y a pas. Pour nous, c’est la rage en sourdine. Pour toi, celui qui aligne une rue de stationnements dépassés est meilleur que celui qui cherche l’Attila du macadam. Pour toi, mieux vaut vingt casse-croûtes qu’un fournisseur. Toi qui nous entraînes vers les abîmes toujours plus insondables de l’absurdité, ta perversité n’a pas de limite.

 

Tu as su, pour mieux nous museler, te muer en ascenseur de la tranquillité. Il est tellement plus simple pour le bleu de ramener son carnet bien rempli. Pour l’O.P.J. d’exhiber son registre plein à craquer de courants d’air. Pour un patron de faxer des chiffres replets. Tout ça pour que les marchands de peur puissent les marteler dans la boîte à conneries.

 

Tu es un maître insatiable. Avide de plus. De toujours plus. Nous en sommes réduits à te consacrer tellement de temps que plus rien d’autre n’a de réelle importance. Objectifs, quotas et rendements sont tes lieutenants. Toujours prompts à donner du fouet aux galériens de la paix. Parfois disposés à donner un sussucre aux bons toutous.

 

Le culte qui t’est voué en ferait pâlir plus d’un. En premier lieu ceux qui pensent encore que la police n’a d’autre but que de les protéger. Ceux là sont les plus gravement lésés par ta religion. Nous ne sommes pour toi que des ressources. Mais, eux, sont tes premières victimes, sacrifiés sur l’autel d’une efficience qui n’a de réalité que dans quelques esprits mal tournés et hors du monde.

 

Léviathan, démon des apparences, du bien dit et des courants d’air. Au nom de la vérité, de la logique et de l’équité, je te l’ordonne. Sors de ce corps ! Et retourne dans cet Enfer que tu n’aurais jamais du quitter.

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A
<br /> Cher Jayos,<br /> <br /> J'ai passé une partie de la nuit dernière à me délecter de tes nouvelles. Je te sais homme intègre, te connaissant "virtuellement" depuis près de trois ans ; ta façon de manier la plume me fascine<br /> et, comment dire, me rend jaloux. ;o)<br /> <br /> Trouve vite un éditeur ... C'est tout le mal que je te souhaite.<br /> <br /> <br />
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J
<br /> Je suis content que tout ceci t'ai plu et c'est très aimable à toi d'avoir pris le temps de me laisser quelques mots.<br /> <br /> A bientôt Amha! :)<br /> <br /> <br />
R
<br /> Merci pour ce texte, moi qui suis un non-policier, j'ai eu l'impression de ressentir le stress du Chiffre, et oui, vous l'avez rendu vivant, presque autonome...<br /> <br /> Encore merci pour ce(s) texte(s) :)<br /> <br /> <br />
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J
<br /> Merci beaucoup d'avoir pris la peine de me laisser ces quelques mots, c'est très aimable.<br /> <br /> <br />
C
<br /> Super texte! J'aurai même bien envie de l'imprimer pour l'afficher dans notre salle d'appel! Les collègues apprécieraient, la hierarchie un peu moins sans doute..!^^<br /> <br /> <br />
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J
<br /> Il faut dire que la hiérarchie apprécie rarement qu'on dise ce que l'on pense. Peut être parce qu'ils n'ont rien à y répondre ou peut être parce qu'ils n'ont aucun humour.<br /> <br /> Je suis content qu'il t'ai plu.<br /> <br /> <br />
B
<br /> Quel talent :)<br /> Tu rends le Démon du Chiffre presque beau.<br /> <br /> <br />
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J
<br /> Presque beau, presque beau, pourra-t-on un jour parler de beauté pour le chiffre? J'avoue, mon optique dans ce texte était de le rendre presque vivant. A ton avis, ca le fait? :)<br /> <br /> Merci Bernard et à bientôt.<br /> <br /> <br />
S
<br /> Alors là, mon pote : chapeau !<br /> Vingt dieux, putain que ça fait du bien de lire ça !<br /> Pour le moment j'ai rien d'autre dans le magasin à compliments, mais sache que je vais le lire, et le relire encore, et que ben merde alors, j'aurais bien aimé l'écrire.<br /> <br /> <br />
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J
<br /> Merci Serge, ça me fait plaisir.<br /> <br /> Je ne sais pas pourquoi, mais ce texte est l'un des rare dont je suis content et s'il te fait le même effet alors c'est que j'ai réussi ce que je voulais faire!<br /> <br /> A bientôt.<br /> <br /> <br />