Le Petit Mathieu.

Publié le par Jayos

Cher petit Mathieu,

 

Je me souviens parfaitement de ton nom comme si c’était hier même si toi et moi savons que ce n’est pas Mathieu. Toi tu ne dois pas connaître le mien. Nous nous sommes rencontrés deux fois. Je pense que tu dois t’en souvenir, au moins de la première. J’avais été envoyé chez toi parce qu’un voisin t’avait entendu appeler au secours.

 

La première chose que j’ai vu en arrivant c’est ta mère. Elle m’a tout de suite fait penser à un Panzer. Elle a ouvert la porte. Elle a gueulé avant même que j’ai pu dire bonjour. Je n’ai compris que deux phrases. « Mon fils est pas mal traité. Vous m’enlèverez pas mon fils ! ». Et elle a essayé de refermer. J’ai mis un grand coup de latte dans la lourde et on est entrés avec le collègue. Rien à foutre du domicile. On n’a pas eu besoin de se consulter, on ne s’est même pas posé de question. Ce que nous cherchions ce n’était pas un char d’assaut hystérique, ce que nous cherchions c’était toi.

 

Bien souvent, il m’est arrivé de rire des situations les plus sordides, dans les trous les plus crasseux, face à des gens les plus improbables. Mais ce jour là je n’ai pas ri. Je n’ai pas ri pendant plusieurs jours d’ailleurs. Putain de chat noir.

 

Tu étais sur le canapé, tu devais avoir sept ou huit ans à cette époque là. Mon collègue a garé le Panzer dans le salon et moi je t’ai emmené avec moi dans la cuisine. On a parlé. Ce qu’on s’est dit tu le sais, je n’ai pas besoin de l’écrire. Tu n’avais pas de marque. Je n’avais pas vraiment d’éléments pour déterminer ce qui s’était passé. Ce n’est pas facile de faire irruption dans la vie des gens et de juger en trente secondes les raisons et les tords de chacun. De juger le résultat de plusieurs années de cohabitation.

 

Même si ce n’est pas moi qui gère la procédure par la suite. Même si ce n’est pas moi qui décide si oui ou non tu resteras chez ta mère. Je ne suis pas plus bête qu’un autre (pas moins non plus). Je sais que la façon dont je vais rendre compte de ce que je vois va influencer la décision de mon O.P.J. Qui lui-même influencera la décision du magistrat. Je sais que pendant les quelques minutes que j’ai passées avec toi dans la cuisine j’ai décidé de ton avenir. Ca n’a pas été une décision facile à prendre. J’ai enragé contre la radio qui ne marchait pas. J’ai pesté contre mon patron qui comprenait rien et qui croyait que j’étais coincé devant la porte.

 

J’ai pris mon téléphone et j’ai appelé directement. Et là, j’ai expliqué ce que je voyais. Ce que tu m’avais dit. Les déductions que je pouvais tirer de tel ou tel détail. J’ai tourné ma sauce à la façon : « on ne peut pas laisser le gamin ici » sans savoir si c’était ce qu’il fallait faire. Et ça a marché. On m’a dit d’embarquer tout le monde et qu’on allait voir tout ça au poulailler.

 

Pas longtemps après je suis revenu chercher ta grande sœur. Elle était avec ton beau père. A partir du moment où la machine était en marche, pas question de la laisser seule avec lui. J’avais pour instruction de le ramener lui aussi. De gré ou de force. On a discuté. Ca le faisait chier de se faire embarquer devant les gens du quartier. Ca me faisait chier de l’embarquer de force devant ta sœur même si j’étais remonté comme une pendule. Alors ils ont marché cinq cent mètres, je les ai suivi avec la voiture et ils sont montés tout tranquillement. Ce n’était pas plus mal.

 

Longtemps après l’heure où j’aurais du être chez moi, j’ai fini ma paperasse. Vous étiez tous les deux dans une salle conçue pour les enfants. Avec une petite table toute branlante et trois bouts de jouets rafistolés. Je suis passé vous dire au revoir.

Quand tu as levé les yeux de ton dessin et que tu m’as dit « J’ai bien fait d’appeler quand même » j’ai failli écraser une larme. J’ai descendu l’escalier avec un remake de Verdun dans le bide.

 

Je vous ai revus quelques mois plus tard au commissariat. Je suis passé devant ta soeur, comme un abruti que je suis, sans la reconnaître (comme quoi je suis doué pour l’observation…) absorbé par je ne sais quelle paperasse. Je l’ai entendu dire à la dame qui l’accompagnait « C’est lui qui est venu chez nous ». Du coup je me suis retourné.

 

L’éducatrice du foyer où vous avez été placés (la dame en question) m’a expliqué que ta sœur revivait depuis qu’elle n’était plus chez votre mère et que tu semblais reprendre du poil de la bête. Alors je suis retourné à mes papiers un peu plus léger.

 

Je t’ai croisé sur les marches du commissariat alors que je repartais en patrouille. Je ne suis pas doué pour parler quand c’est comme ça. Je t’ai demandé si ça allait. Tu m’as fait « oui » de la tête. Je ne savais pas quoi te dire, tu n’étais pas bien causant non plus. Alors comme un gros con je suis remonté en bagnole avec juste un signe de la main. Vraiment pas doué.

 

Je ne sais pas ce que tu deviens mais j’ose espérer que tu te portes mieux.

 

Bien à vous deux, vous le méritez plus que n’importe qui d’autre.

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