Mémoire collective.
Chers collègues,
Je connais chacun de vos noms même si parfois certains se perdent dans les tortueux méandres de ma mémoire. Vous connaissez tous le mien même si certains doivent commencer à oublier tout comme moi. Nous nous sommes tous rencontrés, et ce, à d’innombrables reprises. Vous êtes le meilleur aspect de ce métier. Vous êtes pour moi la meilleure raison de prendre ma voiture pour aller gagner ma croûte. Lorsque je vais travailler, c’est un peu comme si j’allais voir mes potes.
Bien sûr, je n’aurai pas la prétention de dire que je suis camarade avec chacun d’entre vous sans exception. Je ne peux pas plaire à tout le monde et tout le monde ne peut pas me plaire. Mais un minimum de diplomatie fait des merveilles.
Tous nous partageons ces automatismes que nous tenons de cette mémoire collective qu’il nous faut des années à intégrer. On a tous, un jour ou l’autre demandé à un ancien :
- Pourquoi tu fais ça ? Ca fait beaucoup plus de travail et ça ne semble pas forcément très utile.
- Parce que si tu ne le fais pas, il risque de t’arriver ça, ça, ça et ça.
- Ca t’est déjà arrivé ?
- Non, mais j’ai connu un collègue qui en a fait les frais.
Cela peut paraître étrange, voire stupide, au profane. Cela peut sembler relever d’un schéma comportemental digne d’une expérience menée sur un groupe de cobayes. Allez savoir, c’est peut-être vrai.
Il arrive que certains aspects de la mémoire collective entrent en désuétude. Parfois jusqu’à l’oubli total, c’est comme ça que certaines pratiques se modifient pour s’adapter aux évolutions de la société. Il arrive parfois que nous soyons rappelés à l’ordre par les événements. Parfois très cruellement. Et là, une phrase nous vient en tête : « Ca aurait pu m’arriver à moi. »
C’est ce vécu partagé qui fait que, malgré nos individualités, nos comportements sont comparables. C’est ce vécu partagé qui fini par nous faire penser qu’au final, la seule personne capable de réellement comprendre un flic, c’est un autre flic.
C’est ce vécu partagé, ressenti différemment par chacun d’entre nous qui rend le métier encore plus difficile à ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas entrer dans le moule ou faire semblant.
C’est l’absence de ce vécu partagé qui va nous faire regarder d’un mauvais œil le stagiaire qui a oublié que la première chose à faire pour débuter, c’est de se taire. C’est cette mémoire collective qui va nous donner le léger rictus qui accompagne l’écoute des consignes inadaptées d’un officier. « Celui-là n’a pas beaucoup usé ses chaussures sur le bitume. » Nous dirons nous. Et très poliment, nous écouterons tout en sachant qu’au final, c’est la mémoire collective que nous suivrons.
C’est ce vécu partagé qui fait qu’un collègue arrivé en mutation va savoir comment réagir dans les grandes lignes. Les détails varient, d’un service à l’autre, oui. Mes les détails ne sont que des détails.
C’est ce vécu partagé qui fait que lors que je vais rencontrer un collègue pour la première fois. Que je saurai que nous partageons plus ou moins le même grade, je vais le tutoyer comme si je le connaissais de longue date. Il en fera autant et tout ceci sera parfaitement normal et naturel.
Et c’est probablement cette mémoire collective qui fait que je me suis toujours senti à mon aise parmi vous chers collègues.
Bien à vous.